En sociologie la culture est définie simplement comme « ce qui est commun à un groupe d’individus et comme « ce qui le soude », la cuisine est une des composantes essentielles d’une culture car elle réunit les individus autour d’une table. Si la musique adoucit les mœurs, la cuisine les reflète. Au quotidien, cuisiner pour quelqu’un, c’est partager avec lui un peu de soi et lui transmettre une partie de sa culture et de ses origines à travers une recette ou une spécialité. Il s’agit de décliner un pan de son identité par le biais de la nourriture terrestre. Chaque plat réalisé par nos mains raconte une histoire et envoie un message surtout quand il s’agit des relations affectives. Vos simples pâtes à la bolognaise « façon mamie » concoctées lors du premier rendez-vous galant avec votre jolie voisine de palier qui vous appelait Monsieur Muscle jusqu’alors, clament haut et fort en votre nom : « Je suis un garçon sensible et un éternel nostalgique …tu me plais ! » Le succulent tartare de noix de saint-jacques au wasabi et pommes granny murmurent à l’oreille de votre collègue de bureau habitué au quotidien à vos graphiques et vos tailleurs gris : « Je suis une originale, une assoiffée de vie… je veux t’impressionner ! » Et oui, même une simple omelette sait être éloquente et vous soutirer un sourire. Préparée à votre attention par votre conjoint, le matin au réveil, elle concédera à sa place « pardonne moi, je t’aime ! » et vous fera oublier votre colère de la veille.
Je pense que réussir un plat ne réside pas seulement dans l’approche méthodique de la recette. Il ne s’agit pas de se munir de la fiche technique et de la suivre à la lettre pour obtenir le résultat escompté. Il ne suffit pas de chronométrer le temps de la cuisson, de mesurer le degré de température ou de mener à bien des opérations aux noms barbares dont la technicité est si bien décrite par les émissions culinaires télévisuelles ou autres, pour arriver à réaliser un plat digne de vos papilles… même quand on a tout mené à bien et suivi sagement la recette, il reste la part de l’humain, vous ! Celui qui crée, qui fabrique, qui réalise, qui produit, oui vous ! Sans aucun doute, vous y mettrez votre grain de sel, votre marque de fabrique, votre personnalité, votre goût. Ainsi, votre assiette sera selon votre humeur du jour unique et différente de celle que vous réaliserez la prochaine fois que votre belle-mère s’invitera chez vous et de ce fait selon votre émotion négative ou positive, le plat n’en sera que meilleur ou à retravailler.

Mettons l’accent, sur cette part de nous qui demeure en dehors du rationnel, du contrôlable et du mesurable. Cette même part qui fait qu’un parfum, une senteur, une couleur et un arôme évoquent en chacun de nous, un souvenir, une histoire, une scène de vie, une remontée nostalgique dans le temps, une ‘madeleine de Proust’ qui additionnée à la recette, fera que votre plat sera chargé d’émotions et ne pourra que refléter ce qu’il vous inspire.
Mona Fajal, Sherazade était toquée, Les Itinéraires Editions Gourmandes, 2015.
C’est pourquoi, la plupart du temps l’ingrédient secret qui fait la différence demeure l’amour et la passion… Ainsi, avant de réaliser une recette et que les ingrédients viennent à votre mémoire, c’est le souvenir de l’événement où l’occasion qui lui sont reliés qui émerge de votre esprit. De la culture d’où je viens, on dira par exemple : « Tu te rappelles la pastilla que l’on nous a servi chez les Chekrounes au mariage de leur fille aînée ? Elle était délicieuse ! Quelle belle fête, dommage que Tata Zahra n’avait pas pu y assister. Elle s’était casser la jambe la veille en glissant sur un savon au bain turc ! », ou alors, mauvaise langue, on confiera :
« Le couscous aux fèves que Sofia a préparé pour les funérailles de son père était insipide. Elle ne lui a pas rendu hommage ! Lui qui était un bon vivant, s’il n’était pas mort, le pauvre, ça l’aurait tué ! » Le plaisir et le partage sont les deux mots clé de la cuisine, peu importe ses origines.
Parlons un peu aux amoureux des terres où je suis née : le Maroc ! Ce pays connu pour sa cuisine riche et imprégnée des différentes civilisations qui ont marqué son histoire. D’ailleurs, on parle bien de gastronomie marocaine, celle qui gagne ses lettres de noblesse sur les meilleures tables du monde.
Plusieurs plats ancestraux relèvent dans leur réalisation et la subtilité des saveurs, plus à de l’art qu’à de la cuisine proprement dite. De là d’où je viens, pendant des siècles, la cuisine était avant tout, une affaire de femmes et un lieu d’où l’homme était exclu. Les femmes avaient le pouvoir exclusif à travers la nourriture, de séduire, de récompenser et de convaincre de leur vaillance ou au contraire de repousser et de se débarrasser de leurs ennemis. De nos jours, depuis que les femmes travaillent à l’extérieur autant que les hommes, la cuisine est devenue un lieu mixte surtout dans les grandes villes. Les hommes mettent la main à la pâte, mais leur présence dans la cuisine est seulement tolérée, surtout dans les petits villages où la femme, peu importe ses diplômes, doit être avant tout, une maîtresse de maison accomplie. La mère a le devoir d’initier la fille dès son plus jeune âge et de la préparer à la gestion d’un foyer en lui transmettant tout ce qu’elle sait et tout ce qu’elle a elle-même appris de sa mère. C’est pourquoi, le Maroc demeure une mosaïque surprenante où le modernisme côtoie le traditionnel dans tous les domaines.
Aussi loin que ma mémoire me porte, je me rappelle encore les veilles de fêtes où une dizaine de femmes allaient et venaient dans la cuisine spacieuse de ma mère. Pour chaque occasion à célébrer, elles étaient là. Elles torréfiaient, moulaient, pétrissaient, façonnaient… et les odeurs d’anis, sésame, cannelle, fleur d’oranger et eau de rose embaumaient tout le quartier. Dans ce laboratoire culinaire, lieu de vie où défilaient toute la famille, les amies et même les voisines, ma mère veillait à tenir la cadence et dirigeait les opérations tel un chef de cuisine face à sa brigade. Il faut dire aussi que l’enjeu était important ! Les palais étaient experts, alors les Cornes de Gazelles devaient être moelleuses et fondantes, les Makroud sablés et bien miellés, les Briouate (samoussa sucrées) bien fourrées d’amandes et croustillantes, le Fekasse (biscuit similaire au croquant aux amandes) goûteux et bien doré… j’en passe et des meilleures ! Pendant des heures, des assiettes regorgeant de pâtisseries plus délicieuses les unes que les autres défilaient entre la cuisine et le salon. Toutefois, face aux invités gourmands, ces petites merveilles orgasmiques accompagnées de thé à la menthe fraîche ne tenaient pas dans les plats au-delà d’un quart d’heure.
On dit au Maroc « L’œil mange avant le ventre », c’est dire l’importance du visuel dans cette cuisine où le sensoriel passe avant la technique. D’ailleurs, j’ai toujours été fascinée par ces femmes qui ne savaient ni lire ni écrire, mais qui avaient un immense savoir-faire qui frise le génie. Elles arrivaient à réaliser des mets divins avec une présentation d’une finesse poétique et d’un goût sûr dans la mise en scène du plat. C’était inné chez elles ! Elles coupaient instinctivement, une feuille de brick, la tortillaient, la badigeonnaient d’œuf, la saupoudraient de graines de sésame et de nigelle, l’enfournaient pour obtenir une rose à peine éclose qui venait orner la pastilla. Ce souci du détail me subjugue ! Cette quête de la perfection m’a toujours intriguée. Alors, je m’interroge : dans cette culture où la société a toujours exigé plus de la femme que de l’homme, où les mœurs, surtout dans le milieu rural, ont souvent encouragé les ambitions du garçon au détriment de celles de la fille, cette dernière n’a-t-elle pas trouvé dans cet espace confiné qu’est la cuisine, sa liberté d’expression ! C’est son territoire. Elle se sent maîtresse des lieux. Alors, la chrysalide aux yeux du monde, se métamorphose en papillon et se révèle savante dans l’utilisation des épices, artiste dans le dressage, chef de cuisine digne d’un trois étoiles Michelin tant le mélange des saveurs s’opère dans une alchimie parfaite ! En chantant dans sa cuisine, l’âme en paix, perfectionniste, elle s’appliquera pendant des heures pour que son œuvre suscite l’envie d’être dégustée par les siens, décuple l’appétit de ses convives et procure le plaisir des sens à ceux qu’elle aime !
Ainsi est la femme marocaine… toujours les autres en premier.
Extrait de l’avant-propos du livre Shérazade était toquée, un voyage culinaire romancé au cœur du Maroc Profond.
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