© ouï-dire éditions
Le compositeur, Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) est, comme Juan Ramón Jiménez un artiste de l’exil : il dut fuir en 1939 l’Italie fasciste après les mesures antisémites de Mussolini. Réfugié aux USA il y passa le reste de sa vie. Compositeur de tendance impressionniste et néoromantique très prolifique, Mario Castelnuovo-Tedesco a écrit pour tous les genres et ses sources d’inspiration sont souvent littéraires ; il a ainsi écrit beaucoup de “musiques à programme” pour le théâtre, l’opéra, le ballet, les marionnettes, le cinéma (48 Films entre 1941 et 1958 films d’aventures ou films fantastiques comme « le retour du vampire » ou « dr Jekyll et M Hyde » en 1941) …, des mélodies sur, ou des compositions d’après, des textes poétiques ou narratifs (Shakespeare, Machiavel, Musset, Oscar Wilde, Dante…) ; ses très nombreuses pièces pour piano ou guitare – ses instruments de prédilection – sont souvent conçues comme des poèmes symphoniques en miniature. C’est tout naturellement qu’il s’intéressa à Platero y yo, cette œuvre d’auteur touchant au mythe.
Parmi les 138 courts tableaux du livre, il en choisit 28 – les indispensables, comme le début et la fin, ainsi que les plus beaux ou ses préférés en tout cas…pour en faire une œuvre nouvelle, à part entière, où musique et texte s’harmonisent parfaitement, vont main dans la main, comme pour une mélodie, une chanson, un opéra, sauf qu’ici la voix est parlée, parlée mais calée précisément sur la musique comme en atteste la partition (éditions Perben), laissant toutefois une certaine marge d’interprétation aux interprètes.

Insistons clairement : il ne s’agit pas d’une ‘lecture musicale’ comme il y en a tant (texte dit sur une nappe sonore ou un habillage musical décoratif et non spécifique), la musique n’est pas ici un fond sonore utilisé pour la circonstance, mais une œuvre à part entière qui s’inscrit dans le genre, assez rare en musique classique, d’œuvre pour « voix parlée et instrument ou ensemble instrumental » : citons l’emblématique « Pierre et le Loup » ou, moins connu, « Histoire du Soldat » d’Igor Stravinsky sur un conte de Charles Ferdinand Ramuz. Pour cet album, une nouvelle traduction française s’imposa d’emblée, afin que le discours musical de la guitare épouse aussi étroitement et aussi naturellement que dans l’orignal espagnol, le texte narratif français.
Photo de Mario Castelnuovo-Tedesco/Portrait © ouï-dire éd
Genèse du projet
En 2009 Oui’Dire éditions a publié le premier enregistrement intégral en langue originale et en français : 2 doubles CD qui reçurent un bel accueil de la critique (Guitare classique, l’Humanité, Les langues néo latines…). D’où le projet, dix ans plus tard, de clore l’aventure en réalisant un outil complet qui puisse servir, modestement, hors études universitaires bien sûr, d’ouvrage de référence pour…Pour qui ? Comme le dirait le poète s’adressant à son ami Platero – « pour qui écrivent les poètes? » – répondons simplement pour : les amateurs de poésie, les francophones voulant découvrir cette œuvre espagnole et universelle, les hispanophones voulant, à travers cette œuvre connue d’eux, se familiariser avec le français, les musiciens et mélomanes voulant découvrir un genre assez peu connu et pratiqué dans son exigence réelle de composition pour voix parlée et instrument.
Comme les Moineaux du chapitre XVII, nous ne saurions trop recommander à « nos frère, nos tendres frères » humains… de se mettre en état de poésie, « Contents, sans fastidieuses obligations, sans ces Olympes ni ces enfers qui mettent en extase ou qui tourmentent les pauvres hommes esclaves »… de se promener, comme nous l’avons fait, en toute liberté dans cette œuvre, de s’y « baigner partout, à tout moment ».
Cette union étroite de poésie et de musique, retrouvera alors, dans toute sa variété, sa vie propre, sa musicalité unique : lecture collective ou individuelle, à voix haute ou en voix intérieure : sans oublier les leçons de vie que l’âne Platero délivre à tout un chacun selon le niveau de lecture choisie : la vie n’est pas seulement héroïsme mais aussi quelque chose de plus intime, tendre et chaleureux.
Trois extraits choisis parmi les 28 chapitres de l’œuvre
Platero
Incontournable, c’est le premier, la présentation de l’âne ; pour entendre les correspondances musique/texte : d’abord l’espagnol, puis le Français. L’âne est Humanisé (Miroirs de jais : yeux miroirs de l’âme, noirs, vitreux, brillants) et présenté comme à la fois fragile et résistant : au début comme une peluche, doux, moelleux, sans squelette,… puis Acier (dur, solide, résistant) et enfin Argent de lune (pierre de lune, bijou délicat,…).
Platero en français et en espagnol
Gorriones
Nous sommes le 25 juillet (fête de Santiago, le patron de l’Espagne). Ce poème en prose, d’apparence anecdotique, est en fait un hymne à la liberté : d’entrée le poète revendique discrètement son agnosticisme « Tout le monde est allé à la messe. Nous sommes restés dans le jardin des moineaux, Platero et moi » puis termine, décrivant les moineaux, par une ode à la libre liberté « […] Contents, sans fastidieuses obligations, sans ces Olympes ni ces enfers qui mettent en extase ou qui tourmentent les pauvres hommes esclaves, sans autre morale que la leur, sans autre Dieu que l’azur, ce sont mes frères, mes tendres frères. Ils voyagent sans argent et sans bagages, changent de maison quand ça leur chante ; ils devinent un ruisseau, pressentent une frondaison, et ils n’ont qu’à ouvrir leurs ailes pour atteindre le bonheur. Pour eux, point de lundi ni de samedi ; ils se baignent partout, à tout moment ; ils aiment l’amour sans nom, l’amour universel. Et le dimanche, quand les humains – les pauvres humains ! – s’en vont à la messe, verrouillant leurs portes, eux, en un exemple joyeux d’amour sans rite, s’abattent aussitôt, en un brouhaha frais et jovial, sur le jardin des maisons verrouillées, dans lesquelles quelque poète – vieille connaissance déjà – et quelque ânon tendre – tu te joins à moi ? – les contemplent fraternellement. »
Gorriones en espagnol
Amitié
Ici nous retrouvons tout le talent de Juan Ramón Jiménez qui, sous l’aspect d’une description factuelle, anecdotique, avec des mots simples et sans abstraction, idéalisation ou théorisation aucune, nous décrit la puissance de l’amitié, ses caractéristiques et ses composantes : la confiance (il s’endort sur son dos) ; la liberté : les amis sont libres, ne s’imposent rien (« je le laisse aller à sa guise et lui… m’amène toujours où je veux») ; la solidarité, compassion (« je descends pour le soulager… » ; la tendresse, l’amour (« Je l’embrasse, le taquine… ») ; la complicité, l’affinité (le fameux ‘qui se ressemble s’assemble’ : « il rêve mes propres rêves »).
Amistad en espagnol
À découvrir donc, à lire et écouter
« Platero et Moi : Platero y yo, élégie andalouse pour narrateur et guitare » de Juan Ramón Jiménez et Mario Castelnuovo-Tedesco. Un livre audio bilingue présenté et traduit par Clément Riot, suivi de « Un personnage littéraire nommé Platero » par Jacques Issorel et de « la poésie de Juan Ramón Jiménez et la musique de M Castelnuovo-Tedesco main dans la main » par Alicia Diaz de la Fuente, une biographie du poète et du compositeur, une biblio-discographie (138p) et un CD Mp3 (246mn) narration en français et espagnol Clément Riot, guitare M A Romero. Ouï-dire éditions, ODL 928. Plus d’extraits sur http://www.oui-dire-editions.fr/produit/928