Abd ar-Rahman III (889-961). La réception du calife du moine Jean Gorze, ambassadeur de l’empereur Otton I
Encore un pan de l’histoire régionale, et plus précisément Audoise, qui souffre d’un excès de romanité touristique. Narbonne, entre 719 lors de son siège par les troupes arabo – musulmanes et 759, demeura dans le sein d’Al Andalus. Une acculturation de presque un demi-siècle, pour la population narbonnaise, (le Languedoc s’appelait alors la Septimanie, chère à feu Georges Frêche), qui sous domination Omeyyade, ne souffrit pas plus dans sa chair et son esprit, que pendant la croisade catastrophique et meurtrière contre les Albigeois, deux siècles plus tard. Comment Arbunah (nom donné par les Arabes à Narbonne, ainsi que Qarqachounah pour Carcassonne) est-elle devenue la cinquième province d’Al Andalus au VIIIe siècle ? Ce fragment d’histoire si précieux, cet « héritage oublié », comme l’appelle si justement, Alain de Libera, professeur au Collège de France, qui en détient l’unique chaire de médiéviste : « L’Occident est né de l’Orient, le médiéviste doit le rappeler aux trois grandes religions monothéistes. L’intolérance religieuse, les persécutions, l’antisémitisme, les conversions forcées, les guerres saintes et les guerres justes ont implacablement fleuri alors que les intellectuels poursuivaient eux-mêmes, une pacification intérieure dont le monde ne voulait pas plus hier, qu’aujourd’hui. »
La poésie d’abord
En Al-Andalus (Andalousie occupée par les Musulmans de 711 à 1492), la dynastie Omeyyade, qui y régna de 711 à 1031, comprenait un mélange détonant de chrétiens de langue arabe (ou Mozarabes), de musulmans, de juifs, d’arabes, de berbères, de muwallad (population indigène convertie à l’Islam), qui toutes vivaient – non pas « en totale symbiose », comme les guides touristiques veulent bien le faire croire aux touristes en sudation extrême – mais, en une harmonie obligée, au milieu des fontaines fraîches de Cordoue. Il est vrai que l’étude du Coran, par exemple, était secondaire durant ce califat, et que la primauté de l’enseignement, revenait à l’étude de la langue et de la poésie. La poésie étant en Al Andalus, la forme de discours la plus noble pour les Arabes. La dynastie Omeyyade, qui régnait sur l’ensemble du monde musulman au VIIIe siècle, depuis leur capitale, Damas, et après leur déchéance orientale face aux Abbassides, amena le prince Abd al Rahmân, en 756, à s’emparer du pouvoir en Al Andalus. L’émirat arabe de Cordoue, indépendant, consolida donc une civilisation arabo-musulmane, qui déteignit sur ses provinces, dont celle de Narbonne. Durant ce haut Moyen Âge, les Latins cherchent à ne pas laisser filer leur culture, tandis que les musulmans, développent et conservent la leur, en la nourrissant de celles des autres. Ce rôle positif des Arabes, cet « héritage oublié », est comme le rappelle Alain de Libera : « L’acte de naissance des intellectuels. Cet appétit de savoir que n’arrêtent ni les frontières, ni les langues, ni les ethnies, ni les doctrines, est le premier effet de l’arabisme sur l’intellectualité médiévale ».
Capitulation
C’est le traité de Tudmir en 714, traité de capitulation des habitants Ibériques – qui finalement ne désiraient pas la castagne pour le compte d’une monarchie Wisigothique inique – qui majoritairement, rallièrent la cause des nouveaux maîtres des terres hispaniques. À l’heure des populismes et racismes prégnants, il est toujours bon de rappeler ces faits historiques, et ce qu’ils ont contribué à féconder, à notre culture contemporaine souvent amnésique. Les populations autochtones, sous domination Omeyyade, bénéficiaient de la Dhimma. Cette Dhimma, était une protection du souverain accordée aux juifs, aux chrétiens et aux zoroastriens, vivant en terre d’Islam. Moyennant impôt – faut pas exagérer non plus – ces populations, pouvaient pratiquer leur religion et bénéficier d’une autonomie dans leur gestion communautaire.
Dark Ages
Pas mal pour ce haut Moyen-Âge, que la majorité des historiens résume à un âge sombre, binaire, « Dark Ages », facile à imprégner dans l’inconscient collectif, livresque et cinématographique. Mais plus dérangeant, quand il s’agit de promouvoir les concordances en matière scolastique, qui érigèrent un mode de vie commun, parmi les trois religions monothéistes d’Al Andalus et de ses cinq provinces, dont faisait partie intégrante Narbonne. La mosquée était établie à l’intérieur de l’Église Saint-Rustique, et le port de la cité, permettait l’acheminement des troupes et des vivres, sans franchir les montagnes pyrénéennes. Narbonne, servait de plateforme pour les razzias, lancées en Septimanie. Arbunah, dès sa prise en 719 par les Arabes, a vu passer plusieurs Wali (gouverneur). En 720, c’est Abd a Rahman ibn Abd Allah al Rhafiqui, remplacé par Athima, puis vers 741 par Omar ibn Omar.
Yusuf al Fihri
Mais, celui vers qui notre intérêt se porte, est Yusuf al Fihri. Pourquoi lui ? Il deviendra en 754-756, gouverneur de Cordoue et, par glissement, gouverneur de toute l’Al Andalus pour le compte des Omeyyades de Damas. Joli fait historique, pour une autre mise en perspective de Narbonne. Yusuf ibn Abd al Rahman al Fihri, de son nom complet, sera nommé Wali de Narbonne en 747. Il appartenait à la famille d’aristocrates arabes, des Fihrides, descendante d’Oqba Ibn Nafi, fondateur de Kairouan en Tunisie. Pendant son court règne à Cordoue, s’émancipant des Omeyyades de Damas, dont le califat s’effondrait au Maghreb, il vit arriver dans la péninsule d’Al Andalus, le 14 août 755, le prince Omeyyade, rescapé des massacres perpétrés par les Abbassides en Orient. Abd al Rahman b. Muawiya. L’engeance prestigieuse de ce prince, appuyé par des troupes yéménites, écrasa les troupes de Yusuf al Fihri, à la bataille d’Al Musara aux portes de Cordoue, le 15 mai 756. L’ancien Wali de Narbonne, ne dirigea qu’Al Andalus, deux ans, mais son passage reste fondamental dans le passé tumultueux de cette ville. Il mourut certainement lors de sa retraite vers Tolède, suite à sa déconfiture à la bataille d’Al Musara.
Averroès
Narbonne-Arbunah, était donc au VIIIe siècle, encore au centre de la pensée dominante en Méditerranée, grâce à l’inclusion Arabe, comme elle le fut auparavant pendant sa période Gallo-Romaine, et dans le bas Moyen-Âge, avec les kabbalistes juifs. N’en déplaise aux philistins modernes et connectés. Le rôle que jouèrent la figure de Yusuf al Fihri et son destin en Al Andalus, est un gage de l’importance donné aux courants religieux et philosophiques qui ont traversé Arbunah. Mais, laissons la sage conclusion, au grand Averroès (Philosophe, théologien, médecin musulman Andalou du XIIe siècle) : « Nulla Lex est vera, licet possit esse utilis ». Aucune religion n’est vraie, même si elle peut être utile.
Référence bibliographique :
Article publié sur L’Indépendant, Perpignan, dimanche, 19 janvier 2020.
Très bel article ..un passage lumineux de l’histoire humaine. Mes remerciements les plus chaleureux pour ce beau partage.
Étudier le passé de l’Humanité, c’est comprendre son présent. La connaissance est une lumière !
« L’oubli », quand il contribue au silence du fait historique, n’est que vanité aux conséquences néfastes. C’est un gâchis que de mettre sous silence, l’apport intellectuel richissime, d’une civilisation dont la pensée n’a jamais cessé d’évoluer au contact d’autres cultures.
À contrario, les esprits assoiffés de pouvoir, cultivant l’obscurantisme, corrupteur n’ont jamais cessé d’entretenir la malhonnêteté du fait historique. Définition du mot « scolastique », voir Larousse, l’aberration se trouve dans l’enseignement.
L’histoire n’est pas un moyen pour enseigner l’amour ou bien la haine. La justice, la paix ne sont-ils pas l’émanation d’une juste réflexion philosophique, et leur application n’est elle pas en principe issue de principes dont la finalité, n’est pas de diviser l’humanité, mais de la réunir ?
Le résultat atteint aujourd’hui (l’actualité) est la conséquence de ceux qui perdurent à diviser pour régner (dictature), règne construit et acquis par des mythomanes, des démagogues, prêts à tout pour un monopole, engendrant des crimes légitimés par la seule raison d’être « la fin justifie les moyens ».
Force est de constater, que la meilleure des civilisations est celle qui a su établir des principes d’humanité envers les uns et les autres et a contribué à être la plus utile à l’ensemble.
Ayant l’honnêteté de la vérité historique, comme le représente si bien, Alain de Libéral, bravo pour cette goutte dans un océan d’ignorance et de crédulité, que certain continue à si bien entretenir. Merci de mettre en relief, cette tacite amnésie d’une culture plus présente que jamais. L’histoire n’est pas une ligne pure, exempte de courbure, et qui rapporte l’Unique histoire d’un peuple. Narbonne-Arbounah à sans aucun doute bénéficié des prouesses culturelles, de qualités intellectuelles d’une civilisation enclin au sciences profanes, telle que poésie et philosophie qui imprégnaient les esprits à cette époque, et quelle modernité que de donner une éducation propice à une juste réflexion.
Peusdo-intellectuels réformes-vous, car il s’agit du sauvetage de l’humanité. Toutefois, rares sont les Abd Al Rahman, notre temps ne comptabilise plus que de sombres individus, qui continuent à tromper les incrédules, en exploitant leur liberté.
Je souhaite que cette chaire puisse donner lieu à de véritables débats, n’en déplaisent à ceux qui éprouvent encore, du mépris envers nos semblable, quelque soit leur origine.