Photo 01 : Potager sur les toits des immeubles.*
Sale temps pour l’humanité ; la planète semble vouloir sa revanche. Elle a d’ores et déjà déclenché le compte à rebours : épuisement des ressources naturelles et guerres larvées pour leur contrôle, dérèglement climatique, disparition de 60 % des animaux sauvages en l’espace de 44 ans, écroulement de la biodiversité faunistique et floristique dans le monde, malnutrition, famines, crise accrue des réfugiés climatiques et déplacement de populations, réapparition de maladies moyenâgeuses, explosion des cancers et des maladies chroniques, liés à la mal-bouffe, et la pollution de l’air, des sols et des océans… et la liste des malheurs, qui s’abattent sur l’humanité, est encore longue.
Sommes-nous alarmistes ? S’agit-il d’un délire de quelques écologistes, qui tels des Cassandre sont annonciateurs d’un avenir des plus angoissants ? Bien évidemment que non. Il s’agit là de réalités factuelles, d’un constat palpable, scientifique, du résultat de nos propres défaillances en tant qu’espèce humaine qui a choisi un mode de consommation infini, dans un monde fini : la terre n’arrive plus à suivre, elle a atteint son seuil de tolérance et nous le fait savoir à sa manière.
Avons-nous atteint le point de non-retour ? Selon les scientifiques, si nous ne changeons pas rapidement nos comportements, il est fort probable que la terre connaîtra bientôt sa 6ème extinction massive des espèces, humains compris. Alors, faut-il se résigner pour autant ? Bien sûr que non, puisqu’il demeure encore de l’espoir. Même si le diagnostic vital de la planète est engagé, il est encore possible de renverser la vapeur, de limiter les dégâts. En parlant de dégâts, l’un des secteurs d’activité humaine les plus polluants n’est autre que l’agriculture chimique et l’industrie de l’agroalimentaire. En effet, l’agriculture dite « moderne » est à l’origine de 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, principalement à cause de l’élevage bovin, l’utilisation démesurée des engrais chimiques et le labour profond. Et ce chiffre ne prend pas en compte toute la pollution émise dans la chaine de production et ses conséquences directes et indirectes sur la santé de la plante et des consommateurs, à savoir la pollution liée à la fabrication des dits engrais, au fonctionnement des usines de transformation, aux transports, au traitement des eaux usées, à l’industrie phytosanitaire et pharmaceutique, etc.
Vendue au départ comme une « révolution verte », qui était censée nourrir l’humanité, l’agriculture industrielle, qui ne survit aujourd’hui dans l’hémisphère nord que grâce aux subventions des États, n’est en fait qu’un moyen qui permet aux lobbys de l’argent de se goinfrer sur le dos des contribuables. Et pour cause, très énergivore et salissante, elle a démontré depuis plus de 50 ans, depuis la mise en place, en Europe par exemple, de la Politique Agricole Commune (PAC), qu’elle est incapable de régler le problème de la famine dans le monde. 800 millions de personnes souffrent de malnutrition sur la planète, soit environ une personne sur dix qui ne mange pas à sa faim. Pourtant, l’industrie agricole mondiale produit aujourd’hui 330 équivalents céréales par humain par an. Or, il suffi t de 200 équivalents céréales par humain par an pour subvenir aux besoins des plus de 7,5 milliards d’êtres humains qui peuplent cette planète.
La question est de savoir où va toute cette surproduction ? Sous la pression du FMI et des marchés, plusieurs pays émergents et du tiers-monde sont obligés de raser des forêts entières (comme le Brésil qui ponctionne, chaque année, des parties du poumon de la planète qu’est la forêt amazonienne) pour pratiquer de la monoculture, non pas pour nourrir les gens, mais pour répondre aux exigences de l’industrie agroalimentaire et pétrolière, notamment dans la production de la viande et des biocarburants.
Ce modèle agricole insoutenable est très gourmand en énergie fossile ; il est aussi l’un des vecteurs de la misère sociale galopante dans le monde. Des études sérieuses pointent du doigt le gaspillage engendré par cette politique du profit à tout prix. Il est désormais établi scientifiquement qu’il faut en moyenne 7,3 calories fossiles pour produire une calorie végétale et 5 calories végétales pour obtenir une calorie de viande bovine. De plus, un agriculteur qui épand 100 kilos d’azote de synthèse sur un hectare de terre produit autant de gaz à effet de serre qu’une voiture qui a roulé 10.000 kilomètres. Si des mesures radicales ne sont pas prises, à ce rythme, dans 50 ans, l’humanité aura épuisé toutes ses ressources naturelles, et par la même occasion endommagé irrévocablement son biotope.
Par conséquent, il serait salutaire de changer de politique agricole et d’encourager l’agriculture paysanne et vivrière artisanale, plus respectueuse de l’environnement, qui est destinée, elle, véritablement à nourrir l’humanité. En effet, entre 20 et 80 % de la production mondiale de nourriture provient aujourd’hui de petites fermes familiales, principalement dans les pays du tiers monde et en voie développement (Afrique, Asie, Amérique Latine, etc.). Par ailleurs, le manque de moyens (absence d’infrastructures routières, de logistique, d’industrie agroalimentaire, etc.) dans ces pays participe à maintenir ce type d’agriculture dans les milieux urbains et leurs périphéries, comme il oblige les paysans à proposer aux populations locales des produits frais, de saison et de proximité.
QU’EN EST-IL DE L’ALGÉRIE ?
La Surface Agricole Totale (S.A.T) de l’Algérie est de 42,4 millions d’hectares, soit 18% de la superficie du pays. Seulement 20% de cette surface est cultivée. Ce secteur fait vivre d’une manière directe ou indirecte 21% de la population nationale. Cette dernière est estimée à environ 42 millions d’habitants, dont 70% de jeunes de moins de 35 ans. Selon l’office National des Statistiques, le taux de chômage a frôlé les 11,1% en 2018, sans compter les milliers de demandeurs d’emploi qui végètent dans l’économie informelle.

L’Algérie occupe la 17ème place mondiale des exportateurs de pétrole et la 9ème place pour le gaz naturel. Cette industrie représente 30% du PIB pays, 97% de ses exportations et environ 70% de ses recettes fiscales. C’est aussi la principale source de ses entrées en devises étrangères. Malgré ce potentiel naturel, humain et financier, le pays demeure toujours dépendant des marchés internationaux pour se nourrir.
Photo 02 : Mon potager à Paris, le premier de la ville en Permaculture.*
En 2017, les importations en denrées alimentaires ont dépassé les 11 milliards de dollars. Des millions de quintaux de blé sont importés chaque année de France, du Canada ou de Russie. L’Algérie est obligée de payer cher pour faire ses emplettes alimentaires. Comme les prix des produits de première nécessité sont soutenus, la facture alimentaire pèse lourdement sur les dépenses de l’État, dont les recettes dépendent du cours des hydrocarbures. Dès lors, la survie du pays est liée directement à la martingale, hautement mercantile, des marchés internationaux. Mais, à quelque chose malheur est bon : le fait que les décideurs aient basé la quasi-totalité de l’économie algérienne sur les exportations d’hydrocarbures a, en quelque sorte, protégé le pays des affres d’une surexploitation libérale de ses autres ressources naturelles. Autrement dit, ce qui a causé notre retard de développement peut s’avérer une opportunité pour l’avenir. Une grande partie de nos terres arables reste vierge, inexploitée. Nos paysages demeurent encore sauvages.
L’Algérie est un pays écologique par défaut. Mais jusqu’à quand ? L’aberration agronomique et la catastrophe écologique annoncée, qui se jouent dans le sud algérien, à Oued Souf notamment, est très inquiétante. En effet, suivant une logique foncièrement mercantile, une agriculture hyper polluante est encouragée dans cette région du pays. On y produit des tomates, des pastèques en quantité industrielle, en usant et abusant d’engrais de synthèse, de pesticides et en pompant, à tour de bras, une eau fossilisée, donc non renouvelable, dans les nappes phréatiques. Cela ne peut pas marcher, c’est une agriculture qui, à terme, est condamnée, car non adaptée à son milieu. Si les anciens ont choisi le système des Fouggarras, ce n’est pas par manque de savoir ou par ignorance, c’est parce qu’ils savaient préserver leur milieu naturel ; ils pratiquaient, de père en fils, une agriculture vivrière, raisonnable, responsable, qui n’épuise pas toutes les ressources disponibles.
Il est désormais du devoir des pouvoirs publics et de la société civile de penser l’avenir de l’Algérie post-hydrocarbures, d’observer le monde, d’analyser ses errances, pour tirer les conclusions qui s’imposent et choisir le chemin de la raison, du durable, de l’équitable.
Vaste programme ; énorme challenge pour les générations actuelles et celles à venir. Un challenge dont le point de départ serait sans doute l’adoption d’un nouveau paradigme, où l’écologie occupera forcément une place centrale. La présente contribution n’a pas la prétention de proposer des solutions clés en main, ni d’analyser dans les détails les tenants et aboutissants d’un tel projet de société. Elle a vocation à dégager une piste de réflexion, parmi tant d’autres, autour de la question du comment peut-on opérer une transition écologique en Algérie, notamment dans les villes algériennes ? Plus précisément, il s’agira de présenter la Permaculture Urbaine, quelques-uns de ses principes et son approche holistique, qui vise à créer des systèmes humains résilients et pérennes, qui sont tout à fait réalisables dans une ville comme Oran, par exemple.