Photo 04 : La ferme des Dervaes*
PERMACULTURE URBAINE : APPROCHE GLOBALE : C’est dans les années 70, que les deux ingénieurs en agronomie australiens, Bill Mollison et David Holmgren, inventent le néologisme « Permaculture », qui est la contraction de deux mots anglais : « Permanent » et « Agriculture ». Par définition, la permaculture signifie donc Culture Permanente ou Agriculture Permanente. Les initiateurs de cette méthode ont résumé leur approche, à la fois holistique et systémique, de la conception des habitats humains et de systèmes agricoles dans un livre en deux tomes, intitulé, tout simplement, « Permaculture ».

Photo 03 : Mur végétal avec des bouteilles plastique.*

Il s’agit d’une étude globale, le fruit d’une rencontre heureuse entre l’empirisme et la science, qui explique le système d’adaptation à leur milieu naturel et de subsistance des peuples premiers d’Australie et de Tasmanie. Aussi, elle se veut un modèle universel d’agro-écologie qui est à la portée du profane comme du professionnel, quels que soient les moyens disponibles et sous différentes latitudes ; des terres fertiles d’Europe aux étendues arides d’Australie. La permaculture est un mimétisme éclairé des systèmes écologiques naturels, un art de l’observation et de l’expérimentation.
Figure 01 : Fleur de permaculture, © David HOLMGREN
A travers cette étude, Bill Mollison et David Holmgren développent l’idée d’un nouveau paradigme du vivre ensemble ; de vivre en bonne intelligence avec la nature et dans le respect de celle-ci. Pour ce faire, la permaculture prône d’abord une éthique et propose une philosophie de vie qui s’articule autour de trois principes directeurs :
• Être attentif à la nature,
• Être attentif aux humains,
• Partager équitablement les ressources.
Par son éthique et ses techniques, en constante évolution, la permaculture prône une méthode systémique et globale, qui vise à concevoir des systèmes (par exemple des habitats humains et des techniques agricoles, mais cela peut être appliqué à n’importe quel système), en s’inspirant de la nature (biomimétisme) et de la tradition (empirisme). La permaculture urbaine est une branche de la Permaculture générale, au même titre que la Permaculture sociale ou encore la Permaculture Humaine. Elle se consacre à l’étude et à la conception (design) de systèmes écologiquement durables, humainement équitables et économiquement rentables, en réponse à des problématiques urbaines réelles, liées à la pollution, la démographie galopante (surpopulation dans les villes), la raréfaction des ressources naturelles, le chômage, etc.
Il est donc important à cet effet d’observer et d’interagir avec son environnement, afin de réussir à mettre en place un modèle fonctionnel et résilient, dans lequel chaque élément placé occupe plusieurs fonctions et où chaque fonction est assurée par plusieurs éléments. Voici quelques principes de base, qui permettent de comprendre la logique permacole et son approche de la problématique de la (agri) culture urbaine.
OPTIMISER L’ESPACE ET LE TEMPS
Le jardinier urbain amateur peut se servir des multiples avantages que peut lui offrir la ville : les structures existantes, qui protègent du vent et qui peuvent servir comme masse thermique et créent des microclimats favorables au développement des plantes, la quasi absence des pollutions aux pesticides, l’abondance des ressources, que ce soit les déchets organiques à composter ou des ressources humaines et des compétences, de la possibilité de mutualiser l’acquisition de matériel, qui induit une diminution des coûts, etc. Néanmoins, il existe deux facteurs limitant : l’espace de culture et le manque de temps.

Cela dit, la permaculture urbaine propose un certain nombre de solutions techniques et une manière de s’organiser pour contourner ces contraintes. Pour optimiser l’espace et gagner du temps, il faut d’abord changer notre conception du jardin : il doit être pensé en mètre cube, en 3D, et non pas en mètre carré. En se servant de tuteurs, des murs, ou toute autre structure verticale, on fait grimper les plants de tomates, de courges, de haricots, etc.
Photo 04 : La ferme des Dervaes*
Cela laisse de la place à d’autres cultures au niveau inférieur. C’est ce qu’on appelle la culture étagée. De plus, grâce au triptyque densification, association et chevauchement (par exemple cultiver en même temps carotte, radis, poireau, ou maïs, haricot, courge) et en favorisant davantage les plantes vivaces comestibles, les légumes perpétuels et les arbres fruitiers, il en sort que chaque centimètre de notre sol est occupé en permanence : c’est-à-dire une couverture complète du sol, qui limitera la corvée du désherbage, réduira sensiblement l’irrigation (gain de temps) tout en augmentant significativement la production.

C’est en recourant à ces méthodes ingénieuses qu’une famille américaine, les Dervaes, a réussi l’exploit de produire 2,7 tonnes de nourriture par an, en transformant le jardin de 370 m2 de leur maison situé en banlieue californienne, en véritable petite fermette urbaine, très performante. Ou bien encore l’exemple du français Joseph Chauffrey, auteur d’un livre intitulé « Mon petit jardin en Permaculture », qui a pu assurer son autosuffisance en fruits et légumes en récoltant pas moins de 300 kilos de légumes par an dans son minuscule jardin de 30 m2.
Photo 06 : Culture d’oignon dans bidon plastique*
VALORISER LES DÉCHETS ET DÉTOURNER LES OBJETS
Tout déchet qui sort de votre habitation doit être soigneusement étudié, car il a la possibilité d’avoir une seconde vie. S’il est organique, il retournera à la terre par le biais du compostage. Pour une ville comme Oran, qui compte 1.345.000 habitants, le volume de déchets organiques domestiques à recycler n’est pas négligeable. Selon certaines sources, la ville collecte environ 600 tonnes de déchets organiques par an. Si elle est récupérée et compostée par les habitants, cette matière vivante peut donner environ 60 tonnes de terreau, qui peut servir de substrat de qualité pour faire pousser de bons fruits et légumes en milieu urbain. Des aliments dont on fera l’économie de ne pas aller acheter au marché, et cela permettra, par la même occasion, à la ville de brûler moins de fuel pour collecter et traiter ces déchets, et ainsi réduire son empreinte carbone. Un élément qui remplit plusieurs fonctions.

Photo 05 : illustration du compostage à domicile*
Il en va de même pour d’autre déchets, comme les palettes en bois, qu’on peut transformer en jardinières, les bouteilles et bidons en plastique, qui peuvent servir de contenants de cultures et ainsi de suite. La seule limite dans cette logique de transformation est celle de notre imagination. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.
CAPTER ET STOCKER L’ÉNERGIE
Les villes du futur seront éco-énergétiquement responsables ou ne seront pas. Le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables devient un impératif pour nombre de pays développés. Leur transition écologique est en marche : éolien, solaire, hydraulique, géothermique, ils déploient les moyens nécessaires pour s’affranchir de leur dépendance des pays producteurs de pétrole (principalement les pays du sud) et s’assurer une souveraineté énergétique, en même temps qu’ils pensent à leur souveraineté alimentaire.
L’Algérie devrait étudier, avec beaucoup de sérieux, ces problématiques d’avenir, car le pays ne peut pas compter indéfiniment sur ses ressources en énergies fossiles. La Chine est certes l’un des pays les plus gourmands en hydrocarbures, ce qui fait de lui l’un des plus grands pollueurs au monde, mais il est aussi le pays qui investit le plus d’argent dans la recherche de nouvelles sources d’énergie propres.
Pour commencer, il est urgent pour nous de réduire notre consommation d’énergie. Cette initiative doit être portée par la société civile ; il ne faut pas attendre l’État, qui finira par suivre. Oran pourrait être le point de départ de ce mouvement citoyen. Il s’agit dans un premier temps de petits gestes du quotidien, qui, mis bout à bout, nous feraient économiser quantité de Joule. Par exemple, prendre les transports en commun au lieu de la voiture ; promouvoir la marche à pied ; faire du tri sélectif ; bien isoler son habitation avec des matériaux biodégradables, comme le chanvre ; installer de petits panneaux photovoltaïques, qui sont nettement plus esthétiques et hautement plus utiles que les hideuses antennes paraboliques qui défigurent nos façades d’immeubles, afin de produire une partie de son l’électricité (à forte raison dans une ville comme Oran, qui baigne dans le soleil une bonne partie de l’année) et ainsi réduire l’activité des turbines de Sonelgaz, ce qui diminuerait les émissions de gaz à effet de serre ; planter des arbres là où faire se peut, qui filtreront l’air que l’on respire, adouciront le climat, serviront d’abris à la faune, embelliront nos allées et nos espaces urbains où il fera bon, comme naguère, déambuler dans « la Promenade des Oranais(es) » en s’enivrant du parfum de la fleur d’oranger et du jasmin, etc.
Autre priorité : la gestion de l’eau. A New York, ville avant-gardiste dans l’agriculture urbaine, se trouve la ferme sur les toits Brooklyn Navy Yard. Couvrant 6.000 m2 de surface, cette ferme suspendue intercepte chaque année un million de gallons d’eau de pluie, soit 4 millions de litres d’eau de pluie. Elle a bénéficié d’une subvention de plusieurs millions de dollars du Département de Protection de l’environnement pour ce service rendu à la ville de New York, en ce qui concerne le traitement des eaux usées.

Oran est connue depuis toujours pour son problème de déficit hydrique. Son climat est de type CSA (méditerranéen semi-aride) selon la classification de Köppen-Geiger. Il tombe en moyenne 376 mm de pluie par an. Par ailleurs, la ville compte 8.800 hectares de bâtis, selon le Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) de la ville.
Figure 02 : Récupération eau de pluie*
Si, comme la ferme Brooklyn Navy Yard de New York, les services techniques d’Oran décident d’utiliser les toits pour récupérer l’eau de pluie, combien de litres capteront-ils ? Faisons le calcul : 8.800 (x 10.000 m2) x 376 (x 10 litres) = 330.880.000.000 litres d’eau, soit l’équivalent de 132.352.000 piscines olympiques.

C’est le déluge ; de quoi reverdir un désert ! Plus intéressant encore, l’investissement à consentir pour une telle opération ne doit pas être excessif : il suffit d’installer un système de gouttières qui acheminera l’eau récoltée vers des réservoirs où des bassins de rétention et le tour est joué. La ville et ses habitants disposeront, dès lors, d’un énorme stock d’eau qui, après traitement, peut servir à l’irrigation des espaces verts et des potagers urbains, comme eau domestique, à créer des fontaines dans les quartiers, etc.
Photo 07 : Palette jardinières*
Et, cerise sur le gâteau, la ville fera, comme New York, des économies dans le traitement des eaux usées et, peut-être même, se passera à terme de quelques stations de dessalement d’eau de mer, qui tournent au gaz naturel. Encore une fois, un élément, plusieurs fonctions.
CRÉER ET ENTRETENIR LE LIEN SOCIAL
C’est sans conteste l’élément central de la permaculture urbaine, autour duquel tout s’articule et sans lequel aucun système ne fonctionnera à long terme. Car il implique l’humain. Ce dernier peut se révéler, dans le contexte (urbain) d’un projet de société, le moteur d’une action coordonnée ou sinon le frein qui l’empêchera de se réaliser. C’est pour cela, qu’il est important de commencer l’action, comme le dit bien Bill Mollison, « au pied de sa porte ».
Autrement dit, il faut savoir donner l’exemple et provoquer l’envie chez l’autre de faire pareil. Combien à Oran sont ces « espaces verts » au pied des immeubles, qui ne servent plus à rien, sinon parfois comme décharges à ciel ouvert ? Combien de balcons, qui tels des barreaux de prisons, sont rongés par la rouille, où pas un pot de fleur ne subsiste ? Il n’est pas difficile, il suffi t d’un peu de courage et de bonne volonté, pour qu’un homme ou une femme décide, un jour, de gratter ce sol au pied de l’immeuble pour y semer quelques graines. Il ne coûte pas grand-chose d’offrir à sa mère, sa femme ou son père un pot de fleur ou de persil à mettre sur le balcon. Avec le temps, les graines semées pousseront et le carrée de verdure deviendra vraiment vert, le pot de fleur ou de persil appellera d’autres pots et le balcon changera de couleur. Au fur et à mesure, l’action individuelle deviendra une action collective et le carré vert se transformera en potager commun.
L’émulation gagnera d’autres quartiers qui voudront, eux aussi, avoir leur jardin d’immeuble. Les vieux retraités y trouveront un lieu de détente, de rencontre en plein air, ils y seront mieux que dans les cafés ; ça leur fait bien au corps et ça leur remonte le moral. Ils demanderont parfois aux jeunes du quartier de leur prêter main-forte. Avec le temps, ces jeunes finiront par rejoindre les vieux pour entretenir ce potager. Les tâches seront réparties, les récoltes partagées. Les enfants auront un espace où, après l’école, ils passeront faire des expériences apprises dans les cours de science de la nature, ils goûteront peut-être leur premier radis ou salade, semés par leurs petites mains. Ils seront fiers et ils raconteront cette aventure à leurs copains de classes, lesquels rapporteront la nouvelle à leurs parents, qui décideront de s’y mettre eux aussi pour donner l’exemple, parce que ce sont des parents. Les quartiers s’animeront autour de ces espaces, ces jardins urbains. Le phénomène s’empare de la ville. Des vocations se découvrent, des idées fusent dans tous les sens, des emplois se créent, une nouvelle économie voit le jour autour du bien-être et de la bonne nourriture, les responsables de la ville sont envahis de demandes de création de nouveaux jardins, des concours du plus beau balcon, ou du plus gros légume de l’année, seront lancés par des associations, des forums verront le jour où on échangera des graines et des idées, les artistes s’y mêleront… et le rêve devient réalité. Oran revivra : la ville qui végète, deviendra végétale.
CONCLUSION
« Le plus grand changement que nous devons faire est de passer de la consommation à la production, même si c’est sur une petite échelle, dans nos propres jardins. Si seulement 10% d’entre nous faisait cela, il y aurait assez à manger pour tout le monde. D’où l’inutilité des révolutionnaires qui n’ont pas de jardins, qui dépendent du système qu’ils attaquent, et qui produisent des mots et des balles, pas de la nourriture et des habitations. » Bill Mollison
L’intégralité de l’article dans MADINATI, décembre 2018, N°7.
BIBLIOGRAPHIE :
• Berthelot Jacques , 2001, L’agriculture, talon d’Achille de la mondialisation, édition de l’Harmattan.
• Bourguignon Claude et Lydia,2015, Le sol, la terre et les champs – Pour retrouver une agriculture saine, édition Broché.
• Caplat Jacques, 2012, L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité, édition Broché.
• Daniel Anne Cécile, 2013, Rapport Aperçu de l’agriculture urbaine en Europe et en Amérique du Nord. HYPERLINK « http://www.chaire-eco-conception.org/fr/content/101-apercu-de-lagriculture-urbaine-en-europe-et-en-amerique-du-nord » www.chaire-eco-conception.org/
• Hervé-Gruyer Perrine et Hervé-Gruyer Charles, 2017, Permaculture, édition Broché.
• Mollison Bill & David Holmgren, 2006, Permaculture,tome1 et 2, édition Broché.
• Portail internet de la FAO, www.fao.org/home/fr/
Sources des illustrations :
Photo 2 : Google Earth
Photo 5 : https://www.intradel.be/visites-et-animations/les-animations/lecompostage-a-domicile-2.htm?lng=fr
Photo 6 : https://www.humanosphere.info/2014/03/faire-pousser-des-oignonsdans-une-bouteille/
Figure 2 : http://www.recuperateur-eau.eu/recuperation-deau-de-pluie.html
Photo 7 : https://www.inspideco.org/une-jardiniere-avec-palette-tres-deco-9-idees-tutoriel/