Crédit photo : La prison civile de Blida et les principaux inculpés du procès de Margueritte (source : cartes postales J. Geiser)
Le 26 avril 1901, la population musulmane d’un petit centre de colonisation vinicole dénommé Margueritte se soulève contre la présence française. Les indigènes, ruinés par les dépossessions abusives des colons, se révoltent et font cinq victimes parmi les Européens. L’insurrection est réprimée dans la journée et ses auteurs sont incarcérés. Mais l’opinion publique réclame le lynchage. Le procès est alors délocalisé vers la cour d’assises de Montpellier. Commence une vraie lutte entre l’État de droit en France et le non-droit en Algérie, découvrant la dualité qui a prévalu entre la colonie et la métropole.
L’ouvrage est donc né de l’expérience du roman historique qui a suivi bien des péripéties, en l’absence d’une matière documentaire bibliographique dès le commencement de son écriture en 2008 pour le premier tome et en 2009 pour le deuxième tome, sous le titre de Marguerite, dans sa phase d’initiation. En effet, l’immense et regretté historien Charles-Robert Ageron avait traité l’histoire de l’insurrection de Margueritte en deux ou trois pages au premier tome, puis l’affaire Margueritte en quelques pages également au deuxième tome. Néanmoins, son apport était nettement insuffisant pour assimiler l’insurrection en elle-même et le traitement judiciaire qui lui avait été consacré. Fort heureusement, la chronique du regretté Laadi Flici comblait ce vide, en mettant à la disposition du public les procès-verbaux des audiences du procès d’assises à la cour de l’Hérault. Grâce à ce nouveau fond, il a été possible de reconstituer le déroulement de l’insurrection et de sa répression, d’assimiler les phases judiciaires jusqu’au verdict.
Malgré cet effort intellectuel, il restait encore à fouiller la mémoire du passé pour mieux connaitre cette insurrection et la trajectoire des inculpés, puis des condamnés aux lourdes peines ou de courts emprisonnements ou d’interdictions de séjour. C’est ce que dévoila l’essai historique de Christian Pheline L’aube d’une révolution Margueritte Algérie 26 avril 1901 publié en 2012. Il était alors nécessaire de revisiter mon roman historique Margueritte à la lumière des données nouvelles que mon confrère Christian Pheline a mis à la disposition du lectorat. C’est donc ce que j’ai entrepris d’élaborer une réédition plus documentée. En effet, j’ai publié en deux tomes Margueritte revisitée le 26 avril 1901, durant l’année 2019 en exploitant les éléments fournis par cet auteur et des chroniques judiciaires. Je saisis cette opportunité pour remercier sincèrement et de la plus noble manière M. Christian Pheline pour ce travail complémentaire au mien.
Mon destin littéraire est lié avec Margueritte, comme le dit mon lectorat. En effet, des universités algériennes m’ont sollicité pour écrire l’insurrection de Margueritte sous la forme scientifique. Leur sollicitation tente évidemment, mais la crainte d’être mal outillé techniquement me posait problème. Alors j’ai engagé une large consultation avec mes amis, professeurs (Youcef Sayah, Aoussine Seddiki, Boucherit Kébir, Mohiédine Abderrahim, Sadjia Guiz), ainsi que mes enfants, docteurs en sciences sociales (Hafida, Mohamed et Hichem). Donc l’essai historique Le procès des insurgés de Margueritte à la cour de Montpellier, 15 décembre 1902-8 février 1903, est mon nouveau-né. J’ai mis à profit bien sûr l’ouvrage de C. Pheline, comme une source incontournable et des chroniques judiciaires du procès lui-même.
Pour revenir au procès des insurgés de Margueritte, le commun des lecteurs serait tenté à le qualifier de procès politique, puisque la révolte du 26 avril est une rébellion contre l’autorité de l’État français et contre l’ordre établi. Les insurgés auraient été jugés normalement comme des dissidents politiques qui, une fois condamnés, auront la qualité de déportés politiques. Or, ce n’était pas le cas et il était inimaginable pour les colons de voir la masse indigène se hisser à ce niveau supérieur, pour la garder toujours au niveau le plus bas et corvéable à loisir. Ils voulaient lyncher les révoltés sur la place publique, toutes leurs forces sociales mobilisées : l’opinion publique et la presse.

Jusqu’au 12 avril de l’année 1902, cette option était envisagée. Le destin en avait voulu autrement. Me L’Admiral obtint la délocalisation du procès à la cour d’assises de l’Hérault. Là, c’est la grande découverte. L’opinion métropolitaine découvre pour la première fois le drame colonial. Alors c’est la fissure entre la colonie et la Métropole. Ce sera une lutte via la presse et au sein même du parlement. La société civile et les journaux de la Métropole vont manifester une solidarité exemplaire à l’endroit des insurgés. Le procès est de nature coloniale, mais il se déroule en Métropole.
Me L’Admiral aux Assises de Montpellier (source : La Vie illustrée, 30 janvier 1903)
La Cour de cassation l’a délocalisé pour cause de suspicion légitime du jury de la cour d’assises d’Alger, pour éviter un carnage. Car pour le parti colonial et le gouvernement général, les cent-sept accusés étaient coupables et méritaient tous la peine de mort. Tout au long de cet essai, le lecteur découvre la dualité qui a toujours prévalu entre la colonie et la Métropole, la première jugeant toujours le peuple dominé en dehors du Droit, sous un régime d’exception ; la seconde souhaitant parvenir à une entente entre les deux communautés et privilégiant la légalité et l’assimilation.

Les insurgés de Margueritte (source : La Vie illustrée, 30 janvier 1903)
Ahmed Bencherif, Le procès de insurgés de Margueritte (Algérie), Cours d’assises de Montpellier 15 décembre 1902-8 février 1903, éditions L’Harmattan, 2021
Merci à Méditerranée Plurielle pour ce bel article, un éclairage historique assez pertinent.