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On peut facilement constater que les comportements de conflits entre les sexes datent depuis la nuit des temps. Chaque sexe essayant de gagner du territoire social ou familial sur l’autre, avec des stratégies différentes dans les rapports de force. Chez l’animal humain, le schéma général qui se dégage de ces rapports de force est une organisation sociale patriarcale. Cette organisation, est-elle le résultat de nos instincts innés ou de notre culture ? Dans le premier cas, le patriarcat serait impossible à modifier, et enlèverait toute illusion au féminisme. Alors que dans le second cas, le rêve d’une égalité sociale entre les sexes deviendrait possible et dépendrait de notre volonté à modifier notre culture. Les rapports de couple peuvent être considérés comme la meilleure stratégie pour réussir la reproduction. Nous comparerons l’animal et l’humain d’un point de vue éthologique, anthropologique et sociologique.
Partie I – LES ANIMAUX
Comment sont apparus le mâle et la femelle dans la théorie de l’évolution ? Si tous les animaux ou presque ont une reproduction sexuée, on peut poser l’hypothèse qu’à l’origine les premières cellules vivantes devaient être uniquement femelles, afin de pouvoir se reproduire par elles-mêmes, par division. Dans ce mode de reproduction, les descendants sont identiques sur le plan génétique, tandis que la reproduction sexuée produit à chaque fois des individus différents génétiquement. L’origine de l’apparition de la sexualité date vraisemblablement d’environ 1,5 milliard d’années, avec les premières cellules eucaryotes (avec noyau d’ADN). Du point de vue de l’évolution, tout l’organisme sexuel n’est qu’un outil au service d’une stratégie de reproduction, pour assurer la transmission des gènes.
Tous les comportements de la matière vivante, végétale ou animale, sont animés par une « volonté de survivre ». Cette « volonté de survivre » est très certainement innée, sans elle, la matière vivante ne pourrait pas perdurer, elle s’exprime dans les mouvements du corps par l’intermédiaire des instincts. Ce sont ces comportements innés qui permettent à l’animal de se perpétuer. Pour cela, il doit résoudre ses trois besoins fondamentaux : la protection, la nutrition et la reproduction. Dans la plupart des espèces animales, ces trois besoins fondamentaux, sont résolues par un comportement inné : « la Loi du plus fort ». Cette Loi biologique permet à l’individu le plus fort de la tribu, le « mâle alpha », l’accès à la nourriture et à la reproduction, en échange il offre sa protection à la tribu. On peut considérer que cette Loi du plus fort qui conditionne nos comportements est, en quelque sorte, la « loi morale » de la nature. Remarquons que si la Loi du plus fort est un instinct comportemental inné, le résultat de la hiérarchie sociale peut dépendre d’une stratégie différente dans les rapports de force, grâce au jeu des alliances, par exemple lorsque plusieurs individus s’organisent pour attaquer le « mâle alpha ».
Matriarcat chez les insectes :
Les insectes sont présents sur Terre depuis plus de 120 millions d’années, bien avant les dinosaures du crétacé. Les abeilles et les fourmis ont une structure sociale quasiment identique avec trois « castes » biologiquement déterminées ; une reine chargée de la ponte des œufs (plus de mille par jour !) ; quelques mâles inoffensifs, qui meurent après leur premier accouplement ; et une colonie de femelles qui ont pour mission de bâtir l’habitat général, de s’occuper des œufs pondus par la reine et de défendre contre les attaques de l’extérieur. Selon leur âge, elles sont affectées à des tâches différentes. Les abeilles ne peuvent utiliser leur dard qu’une seule fois, car cet acte lui est mortel, elles ne l’utilisent donc que pour protéger la colonie d’un prédateur. Nous remarquons la similitude de la structure sociale matriarcale et des comportements innés, avec ces deux exemples abeilles et fourmis. Ces insectes sont génétiquement déterminés pour s’organiser en trois castes.
Matriarcat chez les mammifères
Chez les mammifères, dans la plupart des cas, c’est uniquement le mâle dominant qui se reproduit. Cela donne lieu à une organisation sociale de nature patriarcale. On a pu observer des sociétés matriarcales avec une hiérarchie basée sur la femelle dominante et sa descendance, et ceci, chez quelques espèces animales, notamment les éléphants, les cerfs, les orques, et surtout les hyènes, les suricates et les bonobos. Dans ces quelques cas on constate que ; soit la femelle est plus grande que le mâle, ayant un accès privilégié à la nourriture ; soit qu’une collaboration sans faille entre groupes de femelles a permis de prendre le pouvoir sur les mâles. Nous allons rapidement examiner les cas du suricate, qui est un peu spécial, car l’ancêtre des suricates est sans doute à l’origine de l’ensemble des mammifères. Au sein des groupes suricates, les femelles sont de vrais tyrans. Et pour cause, elles possèdent deux fois plus de testostérone que les mâles ! Ce qui les placerait en haut de la hiérarchie et les rendrait particulièrement agressives. C’est également le cas des femelles hyènes. Alors, si dès le début du règne des mammifères, les femelles avaient une puissance physique supérieure aux mâles, comment l’ont-elles perdu ?
La testostérone : un choix entre agressivité ou immunité :
L’agressivité peut paraître un bon moyen de survivre, mais elle possède un coût au niveau de la santé. Il se pourrait que les hormones affaiblissent le système immunitaire, rendant plus compliquée la lutte contre les parasites. Côté santé, les femelles dominantes à fort taux de testostérone sont plus enclines à être parasitées et comme elles occupent une place centrale au sein des groupes, elles risquent d’exposer leurs congénères aux infections. Comme chez les humains, un niveau élevé de testostérone peut engendrer une perte des défenses immunitaires. Il semble évident que la production de testostérone joue un rôle important dans l’organisation sociale des mammifères et dans l’établissement d’une structure matriarcale ou patriarcale. Le niveau de testostérone interagit avec un ensemble de gènes de la réponse immunitaire, ils sont corrélés. Les résultats des recherches sur les mammifères concordent, montrant la réduction des anticorps et des leucocytes chez les individus de haut rang social, ou avec de forts taux de testostérone.
Pourquoi l’évolution a-t-elle conçu une hormone qui, d’une part améliore les caractéristiques sexuelles masculines, et d’autre part affaiblit le système immunitaire ? Pourquoi le matriarcat originaire ne s’est-il pas généralisé à l’ensemble des mammifères ? Seulement cinq ou six espèces sur près de six mille sont matriarcales. Nous ne le savons pas exactement, mais nous allons tenter une hypothèse originale. Ce serait les femelles qui auraient cédé le pouvoir social aux mâles, pour une meilleure répartition des tâches !
Résumons : la volonté de survivre chez les mammifères les oblige à résoudre les trois besoins fondamentaux, de protection, de nutrition et de reproduction. Dans une structure matriarcale, ces trois besoins sont pris en charge par la femelle. La production de testostérone étant supérieure à celle du mâle, cela lui donne un avantage musculaire et suscite un comportement plus agressif. Elle devient capable de gagner à la loi du plus fort, et d’instaurer un matriarcat. Elle dispose d’un accès premier à la nourriture, à la gestion complète de la reproduction, mais également à la protection de la tribu. Ainsi, c’est à la femelle que revient la tâche de subvenir à l’ensemble des trois besoins fondamentaux ; une prise en charge qui devait épuiser les femelles. Il faut ajouter à cela que l’excès de testostérone diminuait sa production d’anticorps, rendant la femelle et sa progéniture, encore plus fragile aux infections que les mâles. C’est peut-être pour résoudre ces problèmes que les femelles auraient diminué leur production de testostérone et donc d’agressivité au cours de l’évolution, ce qui aurait permis aux mammifères mâles d’instaurer un système patriarcal. Le mâle prenait ainsi le besoin de protection de la tribu à sa charge, et les femelles gardaient la charge de la reproduction, le mâle en étant incapable. La nutrition restant à la négociation entre mâles et femelles, selon les espèces et les ressources du territoire. Devenant plus forts physiquement, les mâles se réservaient l’accès prioritaire à la nourriture, mais les femelles y ont gagné sur le système immunitaire, qui protège également leur progéniture. C’est pourquoi, de nos jours, on conseille souvent l’allaitement, qui fortifie le système immunitaire des bébés. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une décision consciente des femelles. C’est la sélection naturelle qui a fait son travail, en éliminant au cours des siècles, les femelles à faible immunité, et en favorisant les mâles à fort taux de testostérone.
LES PRIMATES
Le chimpanzé :
Les chimpanzés vivent en tribu, sous la domination d’un mâle « Alpha » qui a conquis son titre grâce à sa force physique. Il est chargé de protéger le groupe, et de féconder les femelles. Celles-ci sont sexuellement attirées par le mâle « Alpha » ayant prouvé la « qualité » de ses gènes. C’est toujours la femelle qui décide, en dernier lieu, d’accepter ou non l’accouplement. Le mâle dominant, cherchant toujours à s’assurer que la progéniture est bien la sienne, doit repousser avec violence les autres prétendants. Il devient possessif, jaloux et violent. La frustration sexuelle des autres individus les pousse à le défier constamment. La violence entre mâles est quasi permanente. Une certaine hiérarchie sociale s’installe avec des rapports sociaux de dominants à dominés. On peut considérer la « loi du plus fort » comme un comportement moral inné, un comportement qui maximise la survie de l’espèce. Cette Loi du plus fort se manifeste dans les comportements, par des rapports de force. C’est généralement l’individu le plus grand, donc le plus lourd, qui l’emporte, mais pas toujours. On a observé dans un groupe de chimpanzés qu’un individu avait trouvé le moyen de faire peur aux autres, en tapant fortement deux boites métalliques entre elles. Il avait pu ainsi « grimper » dans la hiérarchie sociale malgré sa petite taille. Cette nouvelle stratégie est, sans aucun doute, d’ordre culturel. On remarque parfois qu’il se crée des associations d’individus, dont la force conjuguée, permet de déloger le « mâle alpha ». Les animaux sont donc aussi capables de collaboration, et de communication lorsqu’il s’agit de leurs intérêts communs. Mais remarquons que cette collaboration ne les fait pas sortir de la « Loi du plus fort », ce n’est qu’une alliance provisoire ; une fois le chef déchu, la coopération s’arrête pour redevenir compétition, dans le choix du nouveau chef.
Le bonobo :
Ce sont les primates les plus proches de l’homme. La ressemblance du génotype entre l’humain et le bonobo serait de 98,7 %. L’homme aurait divergé, il y a 7 millions d’années, tandis que l’embranchement bonobo-chimpanzé remonterait à 2 millions d’années. Le chimpanzé et le bonobo se ressemblent beaucoup. Chez les bonobos, les femelles laissent le mâle alpha parader et se donner l’air important, mais ce sont elles qui dirigent le groupe. Les femelles contrôlent les ressources alimentaires, dominent les mâles et ne se font guère concurrence, excepté en ce qui concerne l’avenir de leurs enfants. L’entraide féminine fonctionne à fond. Les femelles bonobos se soutiennent entre elles, c’est probablement la clé de leur succès. Ces coalitions et systèmes d’entraide seraient une réponse au harcèlement masculin. Les bonobos ont également le sens du partage, ils sont hospitaliers, y compris avec des membres d’autres communautés. L’empathie est un gage d’intelligence pour la survie du groupe.
Ils ont une vie sexuelle et érotique intense, ils adoptent toutes les positions. La reproduction n’est qu’une fonction du sexe parmi d’autres, les bonobos y recourent pour apaiser des conflits, en signe d’affection. Leur seul tabou sexuel serait l’inceste, bien que les relations sexuelles incluent également les juvéniles. Des scientifiques ont appelé cette méthode d’accouplement le « sexe convivial ». Les bonobos sont pacifiques, on suppose même qu’ils se sont « autodomestiqués ».
Mais comment cela a-t-il pu se produire chez les bonobos ?
Les chimpanzés et les bonobos se seraient séparés il y a deux millions d’années, peut-être lors de la formation du fleuve Congo, ce qui les aurait isolés de leurs congénères chimpanzés sur un vaste territoire. Tous les primates ont un système patriarcal, et les bonobos, selon toutes vraisemblances, devraient aussi fonctionner ainsi. À ma connaissance, aucun primatologue ne s’est intéressé à cette question, elle est pourtant cruciale pour déterminer si le patriarcat est inné ou acquis. Pour prendre le pouvoir sur les mâles, les femelles ont dû devenir plus fortes en formant des groupes unis de femelles. Mais pour gagner cette bataille, il fallait une situation exceptionnelle dans laquelle les mâles se trouveraient en nombre inférieur. On peut donc supposer que pour une raison ou une autre, les mâles ont été décimés, peut-être par des guerres entre les clans, peut-être par une infection touchant principalement les mâles ? Ou encore, au moment de leur isolation au Congo, la population de mâles aurait été bien inférieure à celui des femelles.
Dans tous les cas, la raréfaction des mâles bonobos les rendait à la fois précieux pour la reproduction, mais trop faibles pour la prise de pouvoir. C’était l’occasion pour les femelles de se saisir du pouvoir social et d’organiser la reproduction en libérant leur sexualité, afin d’augmenter leur chance de fécondation avec les mâles survivants. En gérant la reproduction, les femelles purent, sans doute, s’arranger pour que les mâles ne soient jamais en surnombre, risquant de reprendre le pouvoir en quelques générations.
Les femelles ont renoncé à sélectionner les gènes les plus forts pour la reproduction, détrônant ainsi le mâle alpha. Elles ne ressentent plus une attirance sexuelle spéciale pour les mâles dominants qui leur assurait une progéniture robuste. En rendant la sexualité totalement libre, elles réduisirent les frustrations et les violences entre mâles. Elles ont réussi à accomplir un tour de force qu’aucun autre mammifère n’avait encore réussi.
Avec les bonobos, nous pouvons conclure que la culture est parfois capable de dominer la nature, et de modifier les instincts innés. Si cela a été possible pour le bonobo, cela donne beaucoup d’espoir pour que ce soit également possible chez les humains. Si l’espèce humaine pouvait s’inspirer un peu plus des bonobos et un peu moins des chimpanzés, nous vivrions probablement dans un monde bien meilleur.