Symbolisant fidélité aux milliers d’Algériens qui avaient sacrifié leurs vies pour une Algérie libre et indépendante, la Journée nationale du Chahid a été consacrée comme fête nationale et célébrée chaque année depuis le 18 Février 1990. Elle est l’une des dates historiques les plus significatives du passé révolutionnaire du peuple algérien. Crédit photo : Marc Riboud.
Le 1er Novembre 1954 inscrit le peuple algérien dans l’histoire universelle. Des hommes déterminés et résolus d’arracher leur liberté à la France au mépris de la mort. Ils sacrifient leurs vies, leurs biens, leurs familles pour que revive la Nation libre et indépendante. Ils sont quelques-uns à déclencher la lutte malgré l’inégalité de la puissance de feu de l’armée française. L’action armée isolée des débuts est vite remplacée par une insurrection au cours de la grande offensive du 20 aout 1955 dans le Constantinois. Les succès provoquent de graves inquiétudes parmi les autorités civiles et militaires ainsi que la communauté européenne.
Le congrès de la Soummam, tenu le 20 aout 1956, opère une mutation décisive de la stratégie du commandement du FLN et de l’ALN. C’est la guerre révolutionnaire comme choix incontournable. De grands succès sont alors enregistrés sur les champs de bataille par l’armée de libération nationale. Ils obligent le pouvoir français a instauré de grandes réformes au sein de ses institutions pour conserver « l’Algérie française ». Il opère une vaste organisation territoriale civile. En effet, le nombre de trois départements algériens qui existaient depuis 1830 passent en l’an 1957 à dix-sept. Sur le plan militaire, il crée des secteurs et des sous-secteurs qui couvrent tout le territoire national.
La guerre de libération est solide, dirigée par un état-major général et un haut commandement des frontières. La France en l’an 1958 est obligée d’augmenter ses effectifs militaires. Elle passe de 106.000 hommes vers 1950 à 800.000 soldats en 1958, augmentés des harkis au nombre de 100.000 et des milices européennes qui étaient de 10.000 éléments en moyenne. De plus, elle construit des barrages électrifiés sur les frontières : le tracé avec le Maroc faisait 730 kms celui de la Tunisie s’étendait sur 350 kms. Les deux barrages de la mort étaient infestés en millions de mines anti personnelles et antichars. Cette stratégie visait à isoler les maquis de l’intérieur et les priver d’armement, de soins aux blessés, de ravitaillement. L’état-major va doter les frontières en armement lourd, soit des canons de longue portée. Il engage donc la bataille des frontières dont le prix était hélas lourd en sacrifices, mais à fort crédit pour la Révolution qui est désormais dotée d’un gouvernement provisoire et qui est représentée dans la majeure partie des pays dans le monde. Donc, c’est la victoire de la diplomatie algérienne sur celle de la France, soutenue par l’OTAN, organisation militaire d’entraide entre les États-Unis d’Amérique et l’Europe de l’Ouest.
Les soldats algériens étaient appelés des moudjahidines, terme qui dérive du Coran. Cependant, les Français les appelaient les « Fellagas » durant les premières années de la guerre de libération, puis ils les appelaient les Djounoud. Le mot de Fellaga est péjoratif. C’est un mot arabe classique qui veut dire bandit et violeur. Mais à partir de l’insurrection des Ouled sidi Cheikh, les Français qualifiaient ces moudjahidines de « Fellaga ». Ce terme désignait les insurgés des trois pays du Maghreb : Maroc, Algérie, Tunisie. Cette dépréciation du combattant poussa Mohamed Belkheir à la dénoncer dans ses vers. Il dit : « Nous sommes des moudjahidines et cette qualification n’est pas légère ».
Le peuple algérien a payé le prix lourd en sacrifices pour arracher sa liberté : un million 500.000 martyrs, des milliers de veuves, des pupilles de la nation, des milliers d’invalides de guerre. Il accède à son indépendance le 5 juillet 1962, après la signature conjointe avec le Gouvernement français, par la signature du cessez-le-feu du 19 mars 1962, date de la Victoire. L’Etat algérien s’engageait alors dans la bataille du développement et de pérenniser la mémoire du combat libérateur. Il était dans l’ordre des choses que l’Etat algérien institua une journée commémorative pour le symbole de la Nation qui est le Martyr.
Glorification de nos martyrs
Dès l’indépendance le 5 juillet 1962, le pouvoir algérien ou plus précisément les chefs de la Révolution algérienne avaient conçu de glorifier les martyrs dans un carré des martyrs sis au cimetière d’El Aliya à Alger. C’est là que reposent les cendres d’un nombre limité de grands martyrs ou de leaders algériens. Une cérémonie de recueillement est faite lors des fêtes nationales du 1er Novembre et du 5 Juillet, le 20 Août et depuis 1992, du 18 février. Le chef de l’Etat et une délégation du Gouvernement, du FLN, des autorités supérieures militaires et du Mufti y déposent une gerbe de fleurs, dans l’air de l’hymne national de Qassamen et de récitation de versets. Ce recueillement n’est pas exclusif à la capitale, il est généralisé à travers tout le pays, dans chaque chef-lieu de commune, de daïra, de wilaya.
Ce rituel dura jusqu’en 1982, date inaugurale du Monument aux martyrs « Maqam Chahid » sis à riyad El Feth sur les hauteurs d’Alger. C’est un grandiose édifice intégré et composé d’un musée de l’armée populaire nationale au sous-sol, d’un musée du Moujahed, d’un centre commercial et d’une esplanade de loisirs pour les visiteurs. Le monument est constitué de trois palmes qui se rejoignent à mi-hauteur et fait 92 m de hauteur. Sur son esplanade, trois statues sont édifiées : le résistant populaire contre l’agression française, le Moujahed avec son costume civil, le soldat de l’armée de libération nationale et le soldat de l’armée nationale populaire. Les chefs d’Etat étrangers en visite en Algérie y sont conduits pour un recueillement et visitent les musées du Moujahed et de l’ANP (Armée Nationale Populaire). C’est une fierté nationale que véhicule le serment fait aux martyrs. Cependant, cette fierté n’est pas exclusive à l’Algérie, mais elle est ressentie par toutes les nations du monde. Elle conserve un caractère universel, du fait de la mondialisation de la mémoire. C’est ce qui explique aussi l’existence de cimetières aux martyrs dans toutes les villes du pays.
Le martyr Sadok El Hadj
Le jeune combattant Sadok El Hadj est né le 5 octobre 1931 à Ain-Sefra, fils de Mohamed Sadok et de Bencherif Zahra. Il n’avait pas eu la chance de fréquenter l’école parce que dès son adolescence, il était appelé à subvenir aux besoins vitaux de sa famille. Dans sa jeunesse, il était conscrit à faire son service militaire sous les couleurs françaises dans la guerre d’Indochine, comme de centaines de jeunes algériens. Il avait alors 20 ou 22 ans. Il s’était illustré par sa bravoure, son sens de la tactique et de la stratégie. Avec les combattants, l’occasion était offerte de se poser des questionnements sur cette guerre injuste et beaucoup d’Algériens et de Marocains s’étaient ralliés aux rangs des combattants vietnamiens pour mener la guerre d’Indochine. La défaite de l’armée française à Dien-Bien Phu le 7 mai 1954 sonna le glas au colonisateur français.
Le jeune appelé Sadok El Hadj rentre alors à Ain-Sefra. Mais sa ville natale est déjà révoltée contre le colonisateur français. Il apprend que beaucoup de ses amis et de cousins ont regagné les rangs de l’armée de libération nationale et sont au Djebel. Son oncle paternel, pour qui il avait une grande admiration, était lui aussi un maquisard. Il rejoint alors les rangs des Moujahidine en 1956. Il est alors affecté à la zone 8 Wilaya V dans le mont des Ksour. L’année 1957 se distingue par une importante évolution stratégique. La zone 8 est scindée en deux zones : Huit et Trois. La zone 3 est alors renforcée par deux cents combattants qui la rejoignent aussitôt dont le martyr Sadok El Hadj. La nouvelle zone est alors placée sous le commandement du capitaine Abdelwahab, tandis que la 8 est sous les ordres du capitaine Ben Ahmed Abdelghani. La même année, l’état-major de l’armée de libération nationale crée des commandos.
Le commando III
Le martyr Saddok El Hadj affecté à la région 4, c’est-à-dire entre Aflou et Laghouat. Il est alors à la tête du commando III qui avait donné des craintes à l’armée française et lui avait occasionné de grandes pertes en vies humaines et en matériel. Il était la terreur des régiments français sur un vaste secteur opérationnel situé entre Messaad dans la Wilaya 6 et Aflou dans la zone 3 wilaya V. Ces hommes épais, hors du commun, parcouraient des dizaines de kilomètres par jour et accrochaient les troupes ennemies qui à chaque fois enregistraient de grandes pertes. Il forgea sa réputation parmi l’armée française qui lui donna le surnom de « commando fantôme » et à son chef le « commandant je m’en fous ». Sur cette tactique de combat, l’armée algérienne était en avance sur l’armée française qui créa finalement en 1959 les commandos dont celui de Georges. Cependant, les commandos français étaient composés de huit à dix éléments arabes. Ils n’étaient pas en outre autorisés à livrer combat aux unités algériennes. Ils identifiaient les positions des troupes, télégraphiaient aux hélicoptères et aux avions qui rappliquaient et bombardaient les combattants algériens.
La dernière bataille du martyr Sadok
Au cours de l’année 1959, le commando III livra deux batailles : Tounza ou Qabeq. Cette bataille est plus connue sous le nom de Ksar El Hirane distant de 40 kms de Laghouat, plus précisément à Oued Mzi. Elle s’était déroulée le 24 mai au lendemain de la bataille de Messaad dans la Wilaya VI de Djelfa. Le commando de 36 éléments avait accroché à plusieurs centaines de soldats soutenus par les bombardements de l’aviation qui avait largué des bidons de Napalm dont l’utilisation était interdite par les lois internationales. La bataille avait duré toute la journée et au soir les combattants algériens s’étaient repliés vers une destination sécurisée. Les militaires français étaient battus. Le commando s’était redéployé en deux groupes. Les bombardements aériens étaient intensifs et limitaient l’efficacité des Djounoud. Alors, l’un des deux groupes brandit le drapeau français pour tromper l’ennemi, c’est alors que les bombardements aériens cessèrent.
Chaabat Zawouch
Le commandant Sadok El Hadj reçut les soins nécessaires à ses deux jambes et avait repris les opérations militaires. Son commando est alors à Ksar Hiran, au lieu-dit Chaabat Zawouch. Il est rejoint par le moudjahed Tayeb Belmagherbi qui formait un commando depuis 6 mois à Aflou. Un agent double vint informer le commandant Sadok qu’une grande force était en route vers leurs positions. Or, Chaabat Zawouch était un terrain nu et plat qui n’offrait pas de rochers de remparts pour se positionner. Selon le même moujahed, l’armée française avait déployé de très grandes forces, comme celles qui avaient été mobilisées depuis deux ans à Khenag Abderahmane. La bataille, nous dit-il, commença le matin du 11 novembre à 8 heures. Les troupes françaises avaient encerclé les combattants et faisaient feu de tous les côtés. Les avions B26 bombardaient, les avions de reconnaissance mitraillaient, des bidons de napalm étaient largués. Sur terre, les canons et les chars pilonnaient nos positions. Une guerre aveugle était menée au commando, avec une rare violence. Les pertes étaient de 15 martyrs dont Sadok El Hadj, de 10 prisonniers et plusieurs blessés, faits prisonniers, furent achevés. Selon le Moujahed Belmagherbi, seuls 4 commandos ont pu s’échapper à ce déluge de feu.
L’armée française a emporté les morts et les blessés à Laghouat. Elle les avait exposés sur des véhicules découverts qui défilaient dans les rues de la ville pour terroriser. Puis, elle les a entreposés sur la place publique pendant plusieurs jours pour finalement jeter les dépouilles sacrées des martyrs en pleine nature.