Kama Sywor Kamanda et Aimé Césaire. Crédit photos : Kama Sywor Kamanda.
Sortir de soi
Quelle âme n’est guère avide de tendresse ?
Rien de plus angoissant que le crépuscule des âges
où menace la solitude !
Je rêve d’amour qui m’épanouit.
Oh ! Quel espoir !
Mais alors, c’est quoi le bonheur ?
Quel secret agite mon cœur ?
Tout ne serait qu’illusion ?
Les ombres ont leurs propres rêves,
et moi, mes propres aspirations.
Je ne veux pas vivre sans amour.
Je ne veux pas de cette prison appelée : solitude
et qui ressemble à la mort.
Je m’émerveille de la lumière de l’aube,
et je veux que cela dure toujours !
P.326
Connaissance de soi-même
Ouvre ton cœur aux sentiments, noble femme rêveuse en marche vers
la connaissance de toi-même ! L’attente d’apaisement est
d’importance ! Ce qui enrichit l’art d’aimer, et qu’on a le plus besoin
pour son bonheur, c’est la tendresse durable.
Au sortir de l’enfance, tu fais un vœu de liberté, les passions
éphémères de la vie t’attachent au destin des autres, éveillant en toi
l’envie de révolte. Mais à chaque espoir tu vas affronter des épreuves
inédites qui te feront trembler d’incertitudes.
C’est la puissance légitime de l’être qui lutte pour sa survie !
C’est la guerrière courageuse qui s’exprime en toi avec dignité.
Quel mystère te fascine ?
Tu frémis quand ton cœur s’émeut, s’étreint et s’emporte d’amour. Tu
veux que la vie soit merveilleuse ! Alors fais que les œuvres infinies et
les joies assouvies rythment le ciel étoilé qui berce tes rêves !
P.332
Réminiscences temporelles
Qui donc peut m’expliquer cette inépuisable douleur au cœur ?
Ô fulgurances des mots d’amour !
O blessure d’âme ! Je ne ressens dans tout mon corps que ces
frémissements du temps qui se consume sans trêve !
Et l’amour, ce spectacle émouvant, est une zone de turbulences dans
laquelle se déchaînent les forces suprêmes de la vie.
Ô murmures des cascades, monotonie du spectacle émouvant du fleuve
et de l’eau irrégulière.
Rien n’est plus troublant à l’esprit qui doute des choses invisibles que
la fulgurance de l’amour.
O hasards capricieux, flammes de nos rêves, nul n’ose avouer sa peur
de la mort.
P. 342
L’alchimie de la jalousie
Apaise-toi, ô ma passion, et endors ma jalousie ! Je me laisserai
emporter sur la vague sensuelle en ondulant de plaisir. L’amour est
mystique dans sa volupté ! Les amants sont en quête de soleil dans l’art
d’aimer où les faiseurs de gris-gris de bonheur étendent leur emprise.
Je m’imprègne du parfum des femmes aux cœurs inassouvis comme
d’une substance hallucinogène ; l’extase comme un feu s’infiltre dans
mes veines jusqu’aux sphères inconnues de mon corps. Ô redoutable
œil noir ! Quand saurai-je donc vivre à l’abri de ton esprit jaloux,
malfaisant et sans gêne ? Séismes, typhons et volcans menacent la vie
intime déjà chaotique. Les astres dans le firmament dansent vêtus de
nos fantasmes. Qui donc n’exulte pas à s’envoler en dansant dans ce
volcan intempestif où naît la vie ? Mais dans mes yeux, l’arc-en-ciel se
confond aux couleurs d’ailes des rolliers et des tisserins qui s’enivrent
avec la levure de la raison. Les larmes de joie et de tristesse se mêlent
pleines d’odeurs où les desseins mystiques se corrompent pour enterrer
la solitude et investir le doute de tous ces paresseux soupirants qui se
morfondent de leur détresse et se masquent les visages de chagrins.
L’esprit qui chevauche les songes surmonte les mensonges sous la
pluie de la parole qui me heurte comme une rafale de vent.
P. 346
Une métamorphose de l’esprit
Il faut un socle aux libertés. Je vois le ciel qui se couvre de mirages
d’espoirs et de sang nouveau, des mots nus et des vérités insoumises.
Je vois, au bout du chemin, ce peuple désenchanté, rongé de haine et de
révolte, qui se nourrit des cris, des pleurs et des absurdités, exposé dans
ses déchirements, à la charge des flammes affamées de la corruption.
Je défie les éperviers consanguins de l’abondance futile, les
funambules de la bonne gouvernance financière qui dépècent les
nations sur les versants des montagnes de la trahison.
Je voudrais huer sur la place publique ces vautours à têtes d’hommes
qui se remplissent les ventres de lingots d’or, de pierres précieuses, de
l’argent sale, de vers intestinaux de la décadence, et se réjouissent des
restes putréfiés des peuples génocidés en terres pillées. Sur les seuils
brouillés de la démocratie, il n’y a plus que des fiertés mutilées, des
corps écartelés par la soumission et des esprits pendus à l’arbre de la
fatalité par la manipulation.
Je dis : « rien n’est irréversible. » L’intrépide lion de nos savanes
recule quand chargent les hyènes.
P. 356
L’HUMANITÉ SE CONFINE (poème inédit)
Ô éclipse de l’humanité !
Le monde se confine !
Spectres de la mort !
Le soleil s’en est allé !
L’obscurité est totale.
Le silence angoissant. Quoi de plus intrépide que la liberté ?
Les âges solaires sont en sursis.
Comment faut-il remuer tes peurs et réveiller tes mornes angoisses pour mettre l’humanité en quarantaine ?
Des ruses subtiles et d’étranges complots ;
Qui s’épanouissent dans les sphères comme des énigmes semant les doutes et les désarrois, Peuvent-ils remplir ton âme de sanglots ?
Le monde sans espoir, et sombre comme un fantôme dans la nuit, ressemble à nos songes funestes. Le confinement ne peut-être que l’occupation de l’espace intime de ton être.
Naïf sans le croire.
Ignorant sans l’imaginer.
Soumis sans le savoir.
Perverti sans le vouloir.
Où donc vois-tu le danger ?
Abris sécurisés !
Maintenant on te tient par le rituel, l’effroi et la menace : rumeurs de mort à l’affût !
Sang, sueurs et larmes !
Douleurs et sacrifices.
Es-tu moins manipulé et moins conditionné ?
Es-tu libre ou adapté ?
L’arrogance sous tous les cieux engendre la révolte ;
Avancer sans espoir !
Est-ce ton destin ?
C’est bien apaisant de s’évader !
Mais où ?
Les frontières sont fermées !
Les couples s’enivrent de monotonie.
Les amants séparés se morfondent dans la détresse et la mélancolie.
Ô solitudes forcées !
Ô solitudes imposées à l’être !
Accablantes sont nos servitudes !
Les croyances nous inondent comme des pluies torrentielles.
La colère gronde en toi, hélas !
Tu veux vivre, mais dans les ténèbres veillent les esprits chagrins ;
Tu n’entends plus parler que du règne de l’ordre !
Les rêves qui occupent ta pensée se heurtent où s’obstinent l’autorité.
Les devoirs sont plus accablants que les cyclones.
Résistance et servitudes s’opposent dans un corps à corps guerrier.
On en vient aux guerres invisibles de l’Humanité !
Ne te défends pas de ta propre sensibilité d’être !
Une explication logique : accepter l’emprise.
Inévitable les devoirs, et sans devoirs pas d’autorité.
Pas de domination, ni occupation des cerveaux.
Mais sans être toi-même, pas d’amour sous le soleil, ni de rêves sous une nuit d’étoiles filantes.
Ne laisse à personne le droit de t’imposer la solitude.
Les solitudes obligées, les solitudes réglementaires tuent les amours et les libertés.
Ne laisse pas la peur te vaincre.
Pas d’amour sans liberté d’aimer !
Ta vie doit exprimer tes propres aspirations.
Tu ne peux être sédentaire au pays des vérités tronquées.
L’injustice injustifiée fait craindre même les plus courageux des hommes.
Enfin on brise les volontés pour mieux vider les cerveaux de la conscience et de l’esprit.