« Liberté, Égalité, Fraternité » de Shepard Fairey (Obey Giant), Boulevard Vincent Auriol, Paris 13eme, France, 2021. Crédit photos©GALERIE ITINERRANCE
On ne peut aborder les thématiques retenues par le Forum de l’islam de France sans prendre en considération la place que devrait occuper tout naturellement la femme musulmane dans cette nouvelle dynamique. Prendre en compte ses potentialités suppose au préalable de lever les freins qui découlent d’un certain nombre de clichés dont elle est le sujet. Ces topiques doivent être l’objet de toute notre attention en menant des actions concrètes qui participent à mettre en échec ces idées reçues.
Depuis la première réunion du Forum de l’islam de France en date du 5 février 2022, des groupes de travail ont été constitués sur la base de deux thématiques :
La première concernait la question de la pratique de l’islam en France autour de trois axes de réflexion :
– fonctionnement et gestion des aumôneries,
– professionnalisation et recrutement des imams,
– lutte contre les actes antimusulmans et sécurité des lieux de culte.
La deuxième est relative à l’insertion de l’islam dans une société laïque comme pour les autres religions et supposait un questionnement sur :
– application de la loi confortant le respect des principes de la République.
Mais au-delà des découpages thématiques retenus, et parfaitement utiles pour aborder la complexité propre à chacun d’eux, on conviendra à la fois de leur interdépendance et du fait que de facto tous interpellent la question sous-jacente et spécifique de la place de la femme musulmane.
C’est ce dernier point que je souhaiterais développer comme un thème transversal les reliant.
En effet, on ne peut pas imaginer que les femmes musulmanes se sentent exclues du mouvement que l’on constate dans nos sociétés, et en particulier en France qui fait des femmes des actrices de plus en plus actives et reconnues.
Par conséquent, dans le cadre de nos travaux, aborder ce double questionnement amène à s’interroger sur les différentes représentations symboliques de la femme musulmane et ses répercussions sur la place de celle-ci dans l’espace religieux et au sein de la société laïque.
Or ces représentations sont divergentes et même souvent contradictoires au sein même de l’islam de France comme au sein de la société française, et ne peuvent que nous interpeller et nous appeler à un effort collectif pour mettre en valeur ce qui nous rend partie prenante, à la fois, de la communauté religieuse et nationale.
Alors, comment donc en finir avec les idées reçues et les fausses certitudes qui les conduisent dans une double exclusion et à un repli communautaire ?
Certainement par des solutions pratiques de caractère institutionnel comme sociétal qui permettraient de façon très concrète de reconsidérer sa place à la fois dans l’organisation religieuse de l’islam de France comme responsable de sa foi notamment par sa participation au sein des instances religieuses et sa représentation dans l’espace laïque au travers de l’insertion professionnelle.
Pour se faire, il faut travailler sur les représentations et les rôles qui en découlent au sein de la communauté religieuse comme au sein de la communauté laïque. Les deux sont à nos yeux indissociables car participant à conjuguer altérité et solidarité.
Je vous propose de prendre en compte dans vos travaux ces deux axes de progrès avec à la clef des propositions concrètes :
La représentation de la femme musulmane au sein de nos institutions religieuses renvoie à une image d’une personne passive alors qu’elle est tellement active dans les mosquées, dans son foyer et au quotidien comme acteur dans la transmission de la foi. Ce rôle doit être reconnu sur le plan institutionnel et l’islam de FRANCE doit accepter en toute naturalité cette altérité.
La place des femmes dans le fait religieux est un point fondamental. Considérées comme une affaire d’hommes les religions ont longtemps été écrites au masculin à l’encontre même de la réalité. Or une approche mixte, féminin et masculin, participe à une meilleure compréhension des faits religieux eux-mêmes. Cette approche permet au sujet musulman de se construire dans cette complémentarité fondamentale, femmes/hommes.
Un des points majeurs du travail éducatif et pédagogique des recteurs de mosquées et des imams doit en priorité être ciblé sur l’éducation à la mixité dans le fait religieux. Mais on ne peut aborder la question de la mixité si la gouvernance du culte musulman exclut toute présence féminine.
Cette parité est pour l’instant mal reconnue et mal vécue parce que les organisations ne le permettent pas. La nomination des femmes rectrices de mosquées est un pas majeur dans le changement des mentalités, et conditionne la restructuration de l’islam de France.
Le repli communautaire a pour conséquence un enfermement social, des vies brisées, des talents qui ne peuvent pas s’épanouir, des occasions ratées de partager dans l’altérité une vie sociale apaisée. Résoudre cette question passe par la valorisation des aptitudes des femmes à contribuer au bien vivre dans notre communauté nationale. Il est plus qu’urgent de favoriser dans les quartiers dits sensibles les actions de reconquête citoyenne et de solidarité par l’insertion professionnelle. L’insertion professionnelle des femmes de quartiers est donc une priorité pour changer le regard qu’elles portent sur elles-mêmes et sur la société dont elles sont indissociables.
Il faut développer des stratégies d’insertion dans des métiers qui interpellent le corps, l’image, la relation à l’autre dans le respect de sa différence, mais dans une conception moderne et éclairée. Travailler sur les représentations du corps, c’est à la fois travailler sur le cultuel, le culturel et le laïque.
Il y a un domaine professionnel où sur le plan historique les femmes de notre Pays ont très tôt conquis une large autonomie. C’est le cas des métiers de la santé qui offrent de larges perspectives pour des niveaux scolaires très différents. Ces activités porteuses d’une image positive participent à la citoyenneté et permettent des échanges interculturels et générationnels. Ils permettraient également aux femmes en situation de repli communautaire de repenser la question du corps, ce siège de l’identité et du lien social.
C’est une opportunité d’autant plus saisissable que les métiers de la santé et du social souffrent d’un besoin réel de personnel. Développer des projets de formations professionnelles sanitaires et sociales au sein des quartiers dits sensibles permettraient, d’une part de résoudre la question du repli communautaire des femmes et d’autre part de modifier un certain nombre d’aprioris sur des représentations féminines dans les topiques qui sont malheureusement perpétuées dans certains milieux.
L’insertion professionnelle devient à la fois un vecteur d’autonomie économique et sociale, un moyen de retravailler la représentation de la femme dans les quartiers dits sensibles. Une expérience existe, certes en grande difficulté du fait d’un manque d’engagement politique à ce projet ambitieux, d’une école d’infirmières dans un quartier difficile de Perpignan, à la cité Clodion.
Toutes ces femmes deviendront autant de vecteurs d’évolution et d’insertion, leur permettant ainsi de créer des ponts, mais aussi des espaces de convivialité citoyenne partagée. Cette autonomisation professionnelle permet à la femme en situation de repli communautaire de s’approprier les codes culturels dans une société plurielle.